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blablablah on the blue way
27 avril 2008

Contes sortis de nulle part et histoires à deux balles

            C’est un jour blanc :  pas de ciel, pas d’horizon. Un jour où on y voit moins que la nuit. La chaleur a dû endormir tout le monde, ou peut-être qu’il n’y a jamais eu personne. C’est un jour à douter de l’existence de l’Homme. Peut-être est-ce la veille du début de l’Humanité ? Ou le lendemain de sa fin ? Une humanité si éphémère que, dès sa mort, il n’en resterait rien. Pas la moindre trace, pas la plus petite preuve qu’elle n’ait jamais existé.

            Dans l’absence de couleurs et d’odeurs règne une beauté à faire peur, un dangereux mystère… Un silence lourd et menaçant.

Si l’Homme existait, ici et aujourd’hui, il serait sourd et aveugle, ne saurait percevoir que l’humidité. Si l’Homme n’existe pas, alors « ici » et « aujourd’hui » ne signifient rien.

C’est un jour hors de l’espace et hors du temps.

            Quelque part dans cette moiteur opaque et infinie, un mouvement se réveille, une onde sort de sa torpeur… Un vent souffle sur la chaleur blanche et lourde de ce jour silencieux.

Ce qui se meut grandit et envahit le vide. Des ombres grises dans le grand blanc s’agitent à présent. Générations spontanées qui sortent de l’humidité et s’accompagnent d’une rumeur. Soudain il y a à voir et il y a à entendre, mais qu’est-ce ?

            « Nous sommes des âmes. Nos corps ont été sacrifiés avec le paysage. L’Homme a existé, nous en sommes les derniers témoins. Nous souhaitons qu’il ressuscite afin qu’il soit jugé ».

            Tous les jours sont blancs avant l’orage et les mémoires qui dorment n'ont pas le réveil indulgent.


   Petibou ne parlait pas.

           Un bout de quelque chose c’est plus petit que la chose, lui s’appelait «PetitBout», c’est vous dire s’il n’était pas grand. Petibou ne parlait pas, il ne parlait jamais.

Ses parents s’étaient d’abord inquiétés : « Il ne grandit pas, il ne parle pas. Qu’allons-nous faire de lui ? » Puis au fil des années, ils s’étaient habitués.

Quand Petibou avait faim il ouvrait la bouche, quand il avait soif il tirait la langue. Quand Petibou était content, il souriait en silence… le plus beau des sourires qui soient. S’il avait mal, peur ou quand il était en colère, il savait se faire comprendre et si c’était lui qui ne comprenait pas, il vous interrogeait de ses grands yeux. Ses yeux n’étaient pas grands, à peine la taille d’une olive, mais sur sa petite figure de «petit bout», ils semblaient lui manger le visage… alors, quand il les écarquillait, on aurait cru voir une paire de lunettes posées sur un petit cou.

            Quand Petibou eut l’âge de quitter ses parents, il ne dit ni « au revoir » ni « merci ». Il fit un bisou, il fit son sac.

      Petibou trouva l’Amour car l’Amour s’écoute davantage qu’il n’écoute, puis il le perdit car l’Amour se lasse du silence. Petibou trouva un travail car ne rien dire c’est obéir et on aime ça dans le travail, puis il le perdit car se taire c’est se laisser faire, et l'on use de cela au travail.

Petibou n’eut pas d’enfants, pas de maison, pas de grands projets d’avenir. Ses petits grands yeux commençaient à se rider, Petibou avait déjà un passé. En y pensant, il se mit à rire, à pleurer, à grogner… mais toujours pas à parler.

            Quand Petibou eut l’âge de mourir, il partit pour un dernier voyage. Partout où il se trouvait il entendait les mêmes mots dans des langues variées. Mais chaque silence qu’il rencontrait était différent. Celui de la lune n’avait rien de semblable à celui du soleil, par exemple. Il apprit que la mer aussi grondait, que les arbres aussi pleuraient, que les oiseaux aussi riaient.

             Un jour que Petibou était perdu et ses petites jambes fatiguées, il alla se reposer à l’ombre d’un terrier. Petibou avait soif et sur sa langue tirée coula une goutte de rosée. Il était content et son beau sourire se mit à illuminer le trou où il avait trouvé refuge.

Attirés par cette lueur étrange, les enfants du village s’attroupèrent devant Petibou ; et comme savent le faire les enfants, ils le persécutèrent de questions : « Qui es-tu ? et D’où viens-tu ? (mais quelle est cette lumière ?) et Pourquoi t’es-tu mis dans un terrier ? et Pourquoi ceci ? et Pourquoi cela ? » …

Autant de « pourquoi » auxquels Petibou ne répondait pas. Agacés par son silence, les enfants râlaient d’impatience : « Vous, les grands, vous êtes tous pareil ! »

C’était bien la première fois que Petibou faisait partie des grands. Face à tant de candeur, il voulu s’exprimer, pensant « si, pour une fois, je suis grand, alors, pour une fois, je peux bien parler… pour Eux peut-être le dois-je ? »

Ainsi il dît :

       « Les mots sont comme un marteau fendu, en frappant l’on fait du bruit mais le clou n’enfonce pas. Je ne peux répondre à vos questions car ce que j’ai à l’intérieur ne correspond à aucun mot d’aucune langue. Tous les mots de toutes les langues sont usés à force d’être mâchés dans toutes les bouches et crachés dans toutes les oreilles.

J’aimerais vous dire le beau et l’important mais j’ignore comment cela s’appelle. Mon discours ne vaudra jamais les silences de la lune et du soleil. (Les mots se contredisent : je suis petit mais je suis grand, j’arrive mais je pars…)

Mes chers enfants (voyez, vous n’êtes pas mes enfants mais vous êtes mes chers enfants), voici les premiers et derniers mots de Petibou : Si vous aimez, dites-le. Si vous n’êtes pas d’accord, expliquez-le. Si vous voulez savoir un « pourquoi », sachez vous taire, contempler et attendre. Les réponses arrivent par delà les mots, elles sont des silences éloquents. »

Petibou allait en dire davantage mais il est mort. Son magnifique sourire s’est éteint sous ses grands petits yeux mi-clos.

Dans le noir soudain du terrier silencieux, les enfants ont attendu et les enfants ont entendu ce que Petibou n’avait pas dit… puis les enfants sont partis.

            (Il parait que depuis, dans les terriers les plus petits et les plus sombres résonnent encore les silences éloquents de Petibou.)


   Il était une fois, il y a bien longtemps et si loin… quelque chose ou quelqu’un.

L’histoire se finit bien.

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Se taire, contempler et attendre sans fuir la mort.
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